De la peste à la covid-19 : Ambiance quarantaine
- Lueur d'Histoire
- 29 nov. 2020
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 nov. 2020
Les mesures des villes et des nations pour éviter la propagation des maladies
Bien avant la découverte du bacille de la Peste (Yersinia pestis) par Alexandre Yersin en 1894, la maladie a toujours inquiété et traumatisé les peuples depuis l’Antiquité. Ceux-ci ont tout essayé, sans en avoir les véritables moyens, pour enrayer les propagations. Si notre époque a permis l’arrivée d’un virus qui ne serait peut-être jamais arrivé en Europe avant la mondialisation, elle permet aussi de véritablement soigner les maladies.


L’arrivée de cette épidémie est vécue comme un cataclysme, désorganisant complètement la société et la démographie. Entre 1347 et 1352, on estime que la Peste prive la France et l’Europe de 30 à 50% de sa population. Avec entre 25 et 45 millions de morts, c’est la plus grande catastrophe démographique connue, avec celle affectant les populations amérindiennes à la suite de l’arrivée des Européens, mesurée à 56 millions de morts entre 1492 et 1600 selon une étude de l’University College of London.
Des mesures pour tenter d’endiguer l’épidémie de peste
Les hôpitaux qui accueillaient les malades étaient vite débordés. Et la plupart devaient rester chez eux, enfermés. L’ouvrage Traité de police de 1729 rappelle par exemple qu’en 1510, le prévôt de Paris ordonne : « à toutes les personnes qui ont été malades de contagion et à toutes leurs familles de porter à leur main, en allant en ville, un bâton blanc (en signe distinctif) sous peine d’amende ». En 1561, cette ordonnance est renforcée par arrêté du Parlement, obligeant les responsables des Hôtel-Dieu à interdire les malades d’aller en ville avant qu’ils ne soient entièrement guéris. En 1596, la ville renforce encore cette ordonnance, en se basant sur les modèles portuaires, en obligeant les malades à attendre quarante jours après leur guérison pour pouvoir revenir en ville.
La mise en quarantaine
Le système de quarantaine n’est en effet pas récent et la crise de la Covid-19 n’a fait que l’adapter, la réduire aussi, à une « quatorzaine ». Les origines de la quarantaine en Europe se trouvent à Raguse, aujourd’hui appelé Dubrovnik, à la point sud de la Croatie. La République de Raguse, prospère comptoir commercial entre Orient et Occident est donc un lieu vulnérable aux différentes maladies comme la plupart des ports européens.

Comme le rapportent les historiennes Zlata et Vesna Blazina, dans leur ouvrage The Health Office and the Implementation of Quarantine in Dubrovnik, 1377-1533, c’est donc ici, le 27 juillet 1377, que le Grand Conseil de Raguse interdit l'accès de la ville à ceux qui arrivent d'une zone infestée par la peste. Seule option pour entrer : un isolement préventif d’un mois, sur des îles ou presqu’îles de la baie de Raguse. C’est la première quarantaine officielle. Le terme de quarantaine suivra rapidement, car Venise, plus tard la même année, suivra le modèle de leur voisin, en y appliquant une durée de quarante jours. Pour améliorer et simplifier la gestion de ces quarantaines, les grandes majorités des ports européens construisent des lazarets, bâtiments portuaires destinés à la quarantaine des marins (lazaret d’Arenc à Marseille (1663), lazaret d’Aspretto à Ajaccio (1847), lazaret de l’île Manoel à Malte (1643), lazaret de Port Mahon aux Baléares (1817), etc.).

Cité très importante et puissante à cette époque, c’est la lagune de Venise qui instaure le premier Lazaret, sur une île dénommée Santa Maria di Nazareth, en 1423. Il gardera son nom de Lazzaretto Vecchio à partir de 1468 lorsqu’un autre Lazaret est construit dans la lagune. Une Italie en avance sur cette gestion, car celui de Venise sera suivi de Gênes en 1467.
La fermeture des frontières
En plus des marins, il arrive aussi que des régions entières soient mises en quarantaine, comme notre confinement actuel en quelque sorte. C’est le cas de la Provence lors de la peste qui ravage Marseille en 1720. Face à la fuite de la population loin de Marseille, le Conseil du Roi prend un arrêt le 14 septembre 1720 en plaçant en quarantaine toute la Provence. La marine bloque les ports, tandis que l’armée contrôle les routes et villages. Sans oublier le mur de la peste que fait construire et surveiller l’Etat pontifical du Comtat Venaissin, autour d’Avignon, pour empêcher toute intrusion de la peste. Plus au sud, à Arles, ce sont des émeutes qui surviennent. Augustin Fabre, dans Histoire de Provence, 1833, raconte :
« La ville fut cernée par des troupes, avec défense de passer la ligne prescrite sous peine de la vie. Le 4 juin, trois mille individus, pâles de faim et de misère, enlevèrent le pain destiné aux malades et forcèrent les barrières. En ce moment de tumulte et de désordre les Corbeaux (on donnait ce nom aux hommes qui enlevaient les cadavres et les jetaient dans la fosse) se livrèrent à des pillages. Le lieutenant-général de Caylus, commandant en Provence, entra dans Arles pour y rétablir l’ordre, et fit fusiller trois chefs des révoltés. »
La quarantaine à Lyon
Lazarets et hôpitaux étaient également mis en place dans les terres, pas seulement dans les ports. À Lyon, lors de la terrible peste de 1628 Les étrangers sont sommés de quitter la ville, ceux qui s’y refusent risquent la mort. Lyon s’est isolé, coupé du monde, et la décision est prise d’isoler les malades. Ceux qui refusent de quitter leur famille sont amenés de force en quarantaine.

Comme le rapporte Lucie Mailhot et Nicolas Le Roux de l’Université Lyon 2 dans le mémoire Les débuts de la santé publique à Lyon à travers la littérature médicale de 1570 à 1650, la police de chaque quartier était chargée de vérifier deux fois par semaine leur quartier et de consigner chaque cas de maladie dans un « registre de malades ». Pour chaque personne déclarée malade de la peste, les hospitaliers l’amenait immédiatement à l’hôpital Saint-Laurent par bateau. Son entourage devenait « suspect » et devait porter un bâton blanc distinctif pendant une durée de vingt jours. L'hôpital Saint-Laurent des Vignes où venaient les malades, aussi appelé hôpital de la Quarantaine, se situait sur le territoire de Choulans. Cet emplacement au bord de la Saône, donc accessible par voie navigable même depuis le Rhône voisin, était alors tout désigné pour recevoir et isoler les contagieux.
Trois lieux de quarantaines, appelées quarantaines de la Fleur-de-Lys, étaient réunit autour de l’hôpital Saint-Laurent et en dépendaient directement, d’où son surnom d’hôpital de la Quarantaine. Il existait alors trois types de quarantaine : la quarantaine de surveillance pour les individus repérés par des symptômes suspects, la quarantaine de convalescence pour les malades sortant de l’hôpital, et la quarantaine d’arrivée, qui était surtout réduite aux marchandises car la ville était très fermée.
De nos jours, d’immenses progrès, et quelques similitudes
Fort heureusement, pour notre épidémie de la Covid-19, la France ne connaît pas de telles difficultés et n’est contrainte que par l’attestation, sans pénurie ni famine, ni trop grand risque sanitaire. Nous pouvons rester confiné, en quarantaine, chez nous sans craindre de mourir de faim. Nous pouvons aussi rester au chaud, chez nous ou à l’hôpital, et éviter que des malades ne meurent dans la rue. Tout cela car la maladie touche beaucoup moins de monde, mais aussi grâce à nos progrès économiques, scientifiques et sociaux.
En revanche, certains éléments sont restés les mêmes. Une interdiction de se déplacer d’une région à une autre, ou même de sortir de notre ville sans une bonne raison. De même, pour les départs à l’étranger, de nombreux pays exigent une « mise en quatorzaine » à l’arrivée, dans un hôtel prévu à cet effet, exactement comme la quarantaine portuaire des lazarets. Enfin l’ambiance des villes en quarantaine, avec des rues désertées, voire barricadées à l’époque, un peu comme nos rues désertes du confinement.

De nos jours, grâce aux sciences et la technologie, il ne nous reste qu’à attendre chez nous, à porter un masque, mettre du savon et à applaudir les soignants pour rester en sécurité dans cette période d’épidémie, une situation finalement chanceuse.
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