De la peste au covid-19 : Les soins
- Gaël
- 29 nov. 2020
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 nov. 2020
En 1628, la ville de Lyon connaît sa dernière grande crise de peste. Si les sources sont incertaines et divergentes, on estime que l’épidémie aurait causé jusqu’à la perte de la moitié des 70 000 habitants de la ville à l’époque. On comprend alors le dévouement et les prières, deux décennies plus tard, pour éviter une nouvelle vague. On comprend aussi que les soins et traitements étaient tout sauf efficaces. Frank Snowden, historien des maladies, le confirme dans son ouvrage Epidémies et sociétés : de la peste noire à nos jours :
« les stratégies thérapeutiques des premiers médecins modernes de la peste n'ont guère contribué à prolonger la vie de leurs patients, ni même à les soulager, encore moins les guérir ».
Mais quels étaient donc ces remèdes farfelus et hasardeux, au point de parfois empirer la situation ? Les villes touchées par la maladie faisaient appel aux fameux médecins de la peste que nous vous présentions la semaine dernière. Ceux-ci pratiquaient sur les malades des rudiments de médecine, sans toute notre connaissance actuelle (vaccins, antibiotiques, voire même fonctionnement de l’anatomie). Ces médecins prescrivaient donc ce qu’ils croyaient être bon, des méthodes antiques ou répandus de pays en pays. Cela pouvait prendre la forme de concoctions protectrices, d’antidotes ou de contrepoisons comme la thériaque, mais surtout de saignées.


Les traitements des médecins réservent saignées et purges à tous les malades consultés. « Il est peu de remèdes dont on fasse un usage aussi grand, que de la saignée ; il en est peu sur lesquels les médecins aient autant varié de méthodes » expliquent Diderot et D’Alembert dans l’Encyclopédie. Ils y révèlent tous les défauts de cette pratique : une utilisation à outrance dès le moindre symptôme, une combinaison dangereuse de la saignée avec d’autres méthodes de purgation (vomitif, etc), un très grand risque de mortalité pour les plus faibles, les plus jeunes et les plus vieux. Ils concluent ainsi leurs recommandations :
« on ne doit saigner en général que dans les quatre ou cinq premiers jours de la maladie, et ne jamais excéder soixante onces de sang. Il faut aussi fermer la veine après chaque saignée, lorsque le pouls s'affaiblit. »
Si la saignée par incision d’une veine au niveau du coude avec une lancette semblait être plus courante, l’hirudothérapie (l’utilisation des sangsues) était également utilisée pour prélever moins de sang. L’encyclopédie de 1751 en parle ainsi : « Lorsqu'on veut appliquer les sangsues, on choisit les plus petites. On les affame en les tenants pendant quelques heures hors de l'eau. Ensuite on prend une sangsue avec un linge et on la porte sur l'endroit souhaité, où on la fait descendre par un tube à col étroit sur la peau du patient. Lorsque la sangsue est rassasiée, elle tombe d'elle-même. L’utilisation des sangsues plutôt que de la saignée est pratiquée si l’emplacement des vaisseaux, l'état faible du malade où la gravité de la maladie ne permettent pas d'ouvrir des gros vaisseaux. »
Comme on le sait maintenant, tout cela était d’abord inefficace mais aussi mortel : en purgeant le sang des pestiférés, on les épuisait encore plus. En 1643, on pratiquait encore les saignées sur les parties proches des infections, des bubons, car on pense alors que le sang infecté reste autour de la plaie. Le principe même de circulation du sang dans le corps n’étant pas encore partout connu, après sa découverte par William Harvey, en 1628.
Des soins globalement contre-productifs, ce qui n’est pas le cas de la rigueur de l’hygiène. Dans la grande majorité, la peste était transmise par les puces, transportées de villes en villes par les animaux, notamment les rats. Ainsi, des villes plus rigoureuses sur la propreté des rues et des cimetières ont pu limiter de nouvelles vagues de peste. Un exemple parmi d’autres : à Grenoble, selon le récit du docteur Ferdinand Chavant, la mesure est prise en 1534 d’interdire les déjections dans les rues. Et, en 1551, la ville évite une vague de peste, grâce à l’hygiène et aux mesures d’isolement. Quant aux victimes, la gestion de leurs biens est délicate, souvent on brûle tout, que ça soit les tissus ou les meubles.
Dernier et ultime recours, quand l’hygiène n’a pas suffit et que les soins sont impossibles : la religion. Dans les phases épidémiques, la plupart s’en remettait davantage à Dieu qu’à la science et priait sa clémence. Miracle exaucé en 1643 à Lyon ! Mais ce ne fut pas toujours le cas. Lors de la Peste Noire, trois siècles plus tôt en 1349, le mouvement des Flagellants devint très important. Ces adeptes percevaient la maladie comme un châtiment divin et se déplaçaient de ville en ville en se fouettant et en chantant, pour se purifier et purifier les autres.
Aujourd’hui

Aujourd’hui, avec toute notre science et notre connaissance, il n’est heureusement plus question de remèdes miracles ou de dévouement au tout-puissant. Il est question de vaccins, d’antibiotiques, d’antidouleurs, et même de respirateurs artificiels.
Si l’hygiène avait déjà été soulignée, dès l’antiquité puis le Moyen-âge, comme facteur protecteur de la santé publique, elle était évidemment beaucoup moins appliquée et applicable, sans toutes nos commodités modernes. Aujourd’hui, face à la pandémie, nous reprenons cette obsession de l’hygiène, avec les gestes barrières et gels hydro alcooliques, sans oublier toute la stérilisation des hôpitaux.
La principale différence dans les soins est évidemment le progrès scientifique et la compréhension de l’anatomie, des bactéries, des virus. Ceux-ci nous permettent aujourd’hui de développer en un an un vaccin à la Covid-19, que tous les scientifiques du millénaire précédent n’ont pas pu découvrir, faute de technologies pour la Peste. S’ajoutent à cela les nouvelles techniques médicales pour sauver des vies, et notamment le respirateur artificiel dans le contexte de la Covid-19, mais aussi tous les médicaments, si loin des concoctions à bases d’herbes et des saignées du temps de la peste bubonique.
Enfin, la mise à l’isolement, la quarantaine est peut-être la méthode la plus proche des techniques du Moyen-âge et de la Renaissance que nous avons perpétué cette année.
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